Luc Fraisse
Luc Fraisse est professeur de littérature française à l’université de Strasbourg : et membre senior de l'Institut universitaire de France.
À côté de travaux sur les méthodes de l’histoire littéraire et sur l’oeuvre de Potocki, l’essentiel de ses recherches porte sur l’oeuvre de Proust, auquel il a consacré une dizaine d’ouvrages, dont Le Processus de la création chez Marcel Proust (1988), L’OEuvre cathédrale – Proust et l’architecture médiévale (1990, Grand prix de l’Académie française), Proust au miroir de sa correspondance (1996) et La Petite Musique du style. Proust et ses sources littéraires (2011, Prix du Cercle littéraire proustien).
Lors de sa séance annuelle, le 4 décembre 2014, l'Académie française a ainsi présenté le prix de la critique attribué à L'Eclectisme philosophique de Marcel Proust (discours de Jean-Luc Marion sur les prix littéraires) :
Prix de la Critique : M. Luc Fraisse, pour L’Éclectisme philosophique de Marcel Proust
Éminent spécialiste de Marcel Proust – n’avions-nous pas naguère récompensé son étude sur Proust et l’architecture médiévale ? –, Luc Fraisse publie aujourd’hui un véritable monument, que salue M. Marc Fumaroli. Ce sont bien sûr les liens de la philosophie et du roman qui en sont le centre, mais considérés dans la perspective qu’a toujours privilégiée le critique, celle du processus de création littéraire. Cela implique un travail érudit sur les sources, dans la lignée des travaux d’Anne Henry. Pour éclairer l’interrogation essentielle du rapport du sujet au monde, qui constitue le cœur de la Recherche, dans les diverses facettes que présentent l’émergence et la puissance créatrice de la conscience, de l’introspection, de la mémoire ou de la croyance, Luc Fraisse réfère l’œuvre aux pensées de Leibniz, Schopenhauer et Bergson, à l’école française de psychologie (en particulier Théodule Ribot et Gabriel Tarde), mais il va également puiser dans tous les auteurs abordés dans l’enseignement scolaire de l’époque. C’est ainsi qu’il peut cerner chez Proust un éclectisme philosophique qui se distingue des « écoles éclectiques » dans l’héritage de Victor Cousin, mais qui, s’appuyant sur une sorte de vulgate philosophique du temps, définit une forme intellectuelle du dilettantisme – c’est-à-dire une attitude foncièrement esthétique.
L’Éclectisme philosophique de Marcel Proust
Après de solides études en philosophie dont le souvenir ne s’effacera jamais, le romancier de la Recherche du temps perdu enfouit cette culture dans son oeuvre, où la mention de divers philosophes joue un rôle anecdotique – la véritable philosophie se trouvant là où aucun penseur n’est nommé; sa pensée ne se rattache à aucune doctrine prépondérante, bien que la sienne en évoque un très grand nombre.
En envisageant de front cet éclectisme philosophique, la présente enquête ne repose sur aucun apparentement a priori. Ce faisant, elle restitue l’entreprise de Proust au vaste patrimoine philosophique occidental qui forme son horizon. La pensée d’une multitude de philosophes vient se refléter dans les pages de la Recherche : il s’agit de répertorier ces reflets, et plus encore de s’interroger sur la raison de leur extrême diversité, donc d’essayer de théoriser cet éclectisme.
Mais selon quels critères valider ces multiples échos ? Un autre parti adopté a été de reconstituer la culture philosophique de Proust dans sa réalité – en partant de ses papiers scolaires, de ses programmes du baccalauréat et de la licence de philosophie. Pour la première fois, les manuels scolaires et les cours suivis ont été pris en compte (notamment une version manuscrite du cours d’Alphonse Darlu), et les ouvrages de ses divers professeurs ont été confrontés à son oeuvre. On ne peut nullement dire que la philosophie de Proust doive tout à ce qu’on lui a appris. La consultation de ce qu’il a effectivement lu et entendu replace simplement l’examen de sa doctrine dans l’exacte perspective de son émergence. Le romancier transcende les apories philosophiques qu’il rencontre sur son chemin, par quoi il refonde la philosophie de son temps. Et dans les cas, délimités, où il accueille telle quelle la pensée qui lui a été enseignée, le créateur ramasse alors ses forces et s’appuie sur ce fonds pour développer une éclatante et imprévisible invention romanesque.
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